L’instance unique ou la « simplexification » des relations sociales
L’une des mesures phare des ordonnances gouvernementales relatives à la loi d’habilitation sur le « renforcement du dialogue social », porte sur l’instance unique réunissant les Délégués du Personnel ; le Comité d’Entreprise et le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail. Ce sera désormais le Comité Social et Economique !
Nous avons vu fleurir nombre d’avis « d’experts » et de DRH se réjouissant d’une réduction, à priori, des coûts, du temps et des moyens consacrés aux instances de représentation du personnel et ce, grâce à cette structure unique comportant moins d’élus au global et offrant « une vision d’ensemble » des sujets socio-économiques de l’entreprise.
Mais finalement, peu de réflexions ont abordé la « vraie vie » et l’efficacité réelle de cette disposition au sens de l’amélioration de la qualité du dialogue social et donc de la performance économique et sociale des entreprises.
Une lecture attentive du projet, conduit ainsi à temporiser l’engouement généralisé auquel on assiste actuellement dans le monde des entreprises.
Comme dans d’autres domaines de ces ordonnances, nos dirigeants politiques font des choix qui résultent autant du calcul politique que d’un fonctionnement théorique idéalisé. Il suffit d’ailleurs d’observer que généralement, dans le secteur public ou para-public en lien direct avec le management politique : la pratique de son dialogue social riche ne peut que difficilement servir de référence.
Dans le cas de ce Conseil Sociale et Economique, en effet : il faudra encore beaucoup d’effort, et infiniment de patience pour les Directions et les DRH, afin de réguler ce nouveau CSE, et lui donner les vertus sociales et économiques qui ont voulu présider à sa constitution.
Contrairement aux apparences : on assiste non à une simplification du droit du travail ; mais à une « simplexification ».
Celle-ci étant au droit social ce que le flexisécurité est à l’économie.
C’est à dire « et en même temps ».
Si d’aucuns espèrent éviter les combats de rue de la contestation des ordonnances, Il y aura à coup sûr contestation des mues dans les établissements et entreprises à la suite de la sortie des prochains décrets.
Il y a fort à parier qu’une grande partie de l’énergie sociale des entreprises, dans les prochains mois, va être consacrée à cette régulation des nouvelles dispositions, plutôt que de s’intéresser aux nouveaux rapports entre l’économique et le social.
Un effort considérable va être consacré au seul fait de transposer les anciennes dispositions et habitudes dans cette instance unique, sans suffisamment rappeler les missions complémentaires et contemporaines des parties prenantes. Du vin nouveau dans de vieilles outres. On connait la suite…
Quand la discussion sociale des politiques d’entreprises se perd en conjectures de moyens et de fonctionnements ; des modalités et des luttes : cette politique se cantonne alors au management des plus communs dénominateurs.
Or, la politique est la responsabilité de fixer la nature du nouveau contrat social et politique, afin de libérer les énergies économiques et sociales. Sa mission est d’indiquer la nature en acte de ces responsabilités respectives des parties ; bien plus que le nombre et les moyens de ses participants.
Le syndrome ministériel touche ainsi, même ceux et celles qui viennent de l’entreprise réelle : à moins que ce ne soit les cabinets qui restent à la manœuvre.
L’instance unique peut devenir inique, s’il faut demain siéger 3 ou 4 jours d’affilée avec des délégations inévitablement pléthoriques (même si mathématiquement inférieures à l’addition DP + CHSCT + CE) afin de traiter, dans une simple fusion (une confusion également), les compétences dévolues aux anciennes instances sociales.
Ainsi, la situation individuelle, comme la non attribution d’une prime prévue dans l’accord local, pourra être traités avec la même intensité, et dans le même mouvement, que les questions stratégiques, par exemple, de croissance externe ou les sujets de santé et de sécurité collectives au travail.
Après les chocs de simplifications, les renouveaux annoncés de la démocratie sociale et du dialogue du même nom : nous voici devant un Objet Social Non Défini (OSNI)…
Responsables politiques :rendez-nous l’esprit de l’information, de la consultation et de la négociation : dans des modalités et des responsabilités simples et objectives !
Car, si les anciennes instances avaient fonctionné dans cet esprit et ces modalités, qui ont fondé leur installation : la Loi ne serait pas alors venue les fusionner.
Or, les dispositions actuelles diminuent certes le nombre de réunions en réunissant les dîtes instances, sans pour autant influer sur l’esprit et les modalités qui ont justifié la critique de leurs fonctionnements.
Car cette instance unique qui se pare de toutes les « vertus », offrira inéluctablement un cérémonial, une organisation quasi-kafkaïenne et une solennité où dominera, de part et d’autre, l’idéologie et la posture au détriment du compromis de terrain, de l’appréhension réelle du travail et du lien de proximité que l’on trouvait pourtant souvent dans les DP et le CHSCT dans ce qu’elles pouvaient avoir d’exemplaire ici ou là.
La politique du « social » aurait été de définir les missions et modalités de responsabilités réciproques et complémentaires dans les domaines sociaux et économiques, en prenant appui sur des exemples des conditions de bon fonctionnement d’entreprises.
Car dans une politique sociale et économique digne de ce nom, le dénouement passe avant tout par un rééquilibrage du rapport entre l’employeur et les représentants des salariés reposant sur un réel partage d’informations, une véritable transparence de la réalité et des choix économiques, une acceptation de la légitimité de l’autre, un travail sur la compensation et non sur la contrepartie, une connaissance des désaccords, une montée en compétences des acteurs et enfin une volonté commune de négocier en visant l’amélioration de la situation socio-économique de l’entreprise.
L’ordonnanceur du « social » a donc choisi le compromis d’un milieu du gué, entre les deux rives, sans suffisamment tenir compte du sens du courant.
Il revient désormais aux Directions d’entreprises, aux DRH et aux organisations syndicales de modeler par la négociation cette installation du CSE en s’assurant également des éléments d’animation, de vote, d’expertise…
Elles vont donc tenter de négocier l’équivalent d’un « règlement intérieur » de ce CSE avec la probabilité dans nombre d’entreprises de recréer in fine, sous couvert de commissions ou de représentants de proximité : peu ou prou, les anciennes instances.
Si le sujet de la qualité du dialogue social n’était pas sérieux, l’on pourrait sourire…
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