MOUVEMENT SOCIAL ENTRE VESTES ET GILETS JAUNES

Il faut bien parler de « mouvement social » avec les manifestions des gilets jaunes de ces derniers mois. Les ingrédients sociaux classiques sont en effet réunis, avec des revendications – même si elles sont très diverses et éparses – ; des mots d’ordre mobilisateurs pour des types d’action ; et une manière d’être solidaire.

Ce mouvement, comme tout mouvement social d’ailleurs, a ses caractéristiques et sur lesquelles il faut nécessairement porter attention. Son expression est déroutante parce que polymorphe et dynamisée par un nouvel acteur : les réseaux sociaux. Les réseaux politiques et syndicaux n’apparaissent plus dans le canal de communication, et leur réactivation ne semble passer que par la reprise ou l’adhésion aux revendications du mouvement lui-même. Dans ce mouvement, l’absence de leaders – et donc de responsables – rend difficile l’amorce d’une rencontre utile. L’atomisation du mouvement, rend difficile la communication structurelle. Son instantanéité – médiatique – d’expression directe empêche toute prise de recul et de rationalité, à la hauteur des enjeux soulevés. 

Pour les professionnels des Relations Sociales, ce mouvement social d’ampleur nationale en France est le premier de ce type, avec son lancement sur internet, ses tribunes d’actualisation et la localisation au dernier moment de ses manifestations. C’est également le premier mouvement de l’ère digitale, qui ne dispose – presque par nature – de structure intermédiaire, de porte-paroles ou de négociateurs. C’est le premier mouvement que l’on lance, et dont on ne maîtrise nullement les effets, et encore moins son développement et son issue.

Si le mouvement des « gilets jaunes » semble se perdre dans les seules manifestations : il contribue cependant, en ce moment même, à modifier les rapports sociaux dans les entreprises, hérités de notre pacte social de 1945. Je suis témoin dans récentes missions auprès des entreprises, ou bien encore dans les témoignages de DRH et Délégués Syndicaux dans les formations aux Relations Sociales de Paris Dauphine, de ce changement qui s’opère dans les rapports sociaux au sein des entreprises ; notamment dans lesquelles le corps initial de protestation des « gilets jaunes » était socialement issu. On assiste, sur le « terrain » à une remise en cause accentuée, par la « base », des positions des leaders syndicaux et à la maitrise difficile pour ceux-ci, de cette expression directe. La régulation sociale de tout un corps intermédiaire, est en train de se modifier. La nature des récentes revendications empruntent largement à l’esprit des « gilets jaunes » où l’on voit fleurir des comparaisons entre les niveaux de salaires ; des demandes d’alignements de prestations cadres/non cadres ; des expressions sur le transport, le logement…. Des revendications de « classe ». Un autre changement est observé, celui de la nature projetée de la manifestation ou du mouvement social. Ainsi les propos et les menaces s’inscrivent peu à peu dans les mêmes modalités de blocage, de violence, de rapport direct, que celles exprimées par la base sociale des « gilets jaunes ». Un phénomène de base pousse, ici ou là, les organisations syndicales vers une expression plus vindicative, afin de garder la maitrise des évènements. Or, si ces dernières ne sont plus en mesure d’assumer cette canalisation de la revendication et de la violence sociale, nous risquons de vivre à l’avenir, des moments difficiles lors des négociations salaries, des changements d’organisations ou lors de plans sociaux. Plus que jamais la qualité du dialogue social et le professionnalisme des leaders syndicaux offrent la meilleure prévention de ce phénomène.

Gérard TAPONAT. Avril 2019